Un article initialement publié sur le site du Collectif Nourrir dont fait partie le MIRAMAP

27 mai 2024
Le projet de loi d’orientation agricole sera voté demain à l’Assemblée Nationale après deux semaines de débat. Malgré de maigres avancées sur le volet installation-transmission, le texte reste largement insuffisant sur les volets souveraineté alimentaire, transition agroécologique, foncier et revenu, et marque des reculs historiques en matière de protection de l’environnement. Le Collectif Nourrir appelle les sénateurs à rectifier la trajectoire de toute urgence lors des débats à venir. La faiblesse du projet de loi démontre par ailleurs le besoin de textes complémentaires pour répondre efficacement aux crises agricole, alimentaire et environnementale auxquelles sont confrontés les paysans et les citoyens.

Plus d’un an et demi après le lancement du processus, six mois de concertations, des reports multiples, et seulement quelques mois après les mobilisations agricoles, ce texte n’est de toute évidence pas à la hauteur des enjeux. Le peu d’améliorations obtenues par un travail sans relâche des organisations paysannes et citoyennes et de certains députés ne compenseront pas la trajectoire délétère qui s’annonce : une agriculture avec de moins en moins de paysans et incapable de répondre aux défis conjoints de la souveraineté alimentaire et de la transition agroécologique.

constate Clotilde Bato, co-présidente du Collectif Nourrir.

Une analogie nocive entre souveraineté alimentaire et course aux rendements

Le premier article du texte de loi pose une vision de la souveraineté alimentaire en contradiction avec la définition de l’ONU et les attentes citoyennes et paysannes : des systèmes alimentaires locaux qui s’appuient sur une agriculture durable et résiliente. La réécriture de cet article, négociée entre la majorité et la droite, ne fait qu’entériner une vision productiviste, notamment en matière d’élevage, et exclut le développement de filières alimentaires ancrées dans les territoires. Dépendance accrue aux importations (d’engrais, de soja, de gaz), développement de filière dédiées aux exportations plutôt qu’aux besoins alimentaires locaux et au détriment de la souveraineté alimentaire des pays tiers, vulnérabilité face à l’instabilité des marchés internationaux, concurrence déloyale : cette vision encourage un système fragile et néfaste pour les agriculteurs en France et partout dans le monde. La tentative de suppression des objectifs de développement de surface en agriculture biologique et en protéines végétales est également un signal hautement négatif. Leur réintroduction plus loin dans le texte, sous la pression médiatique et de plusieurs députés, laisse planer le doute quant à la volonté réelle du gouvernement d’avoir des systèmes adaptés et résilients. D’autant plus quand, dans le même temps, est consacrée la notion d’intérêt général majeur pour l’agriculture, pouvant laisser supposer un caractère prioritaire sur l’environnement.

Accompagnement des nouveaux agriculteurs : un cadre pluraliste mais rien sur le foncier

Les députés ont acté que France Services Agriculture (FSA), le nouveau dispositif d’accompagnement des agriculteurs proposé par le gouvernement, devra valoriser le principe de pluralisme des acteurs pour guider les futurs agriculteurs lors de leur installation. Les chambres d’agriculture, à qui l’accueil des porteurs de projet et cédants est confié au sein du FSA, auront par ailleurs un devoir de neutralité. Il s’agit d’un premier levier de reconnaissance des organisations paysannes soutenant l’agroécologie qui accompagnent aujourd’hui 1/3 des installations agricoles, malgré un appui insuffisant de la part des pouvoirs publics. Pour autant, le pluralisme et la neutralité risquent sans garanties supplémentaires d’être empêchés par le fonctionnement même des chambres d’agriculture, en raison des règles de scrutin et de financement des organisations agricoles. Si l’inscription d’un objectif de nombre de fermes cibles (400 000 fermes et 500 000 exploitants) va dans le bon sens, le strict remplacement des départs par des installations ne suffira pas pour relever les enjeux de la transition agricole et alimentaire. Les députés ont également reconnu la nécessité de travailler sur des mesures foncières, toutefois renvoyées à une future loi. Une réforme de la régulation foncière est demandée depuis plus de 10 ans par la majorité des acteurs du monde agricole. Son absence de ce projet de loi constitue donc une carence majeure.

Des régressions majeures pour l’environnement et la transition agroécologique

Alors que la transition écologique est une préoccupation majeure pour 85 % des agriculteurs, le texte approuve des reculs environnementaux alarmants. Il vient d’abord dépénaliser les atteintes aux espèces et espaces naturels protégés, qu’elles soient commises par des agriculteurs, des forestiers, des chasseurs ou des promoteurs d’énergie. Pour sanctionner l’atteinte, il faudra prouver l’intentionnalité de l’acte, une brèche juridique dangereuse allant aggraver la dégradation de la biodiversité sur le territoire. Le texte vient aussi accélérer les recours en cas de contentieux sur les méga-bassines et les projets d’industrialisation de l’élevage. Des mesures anachroniques et préjudiciables auxquelles s’ajoute l’affaiblissement de l’unique proposition de transition du gouvernement au sein du projet de loi. Le diagnostic d’évaluation de la viabilité environnementale des fermes sera en effet facultatif, sans conditionnalité pour les aides publiques et sans garantie de financement par l’État. Des choix qui marquent une régression considérable sur le plan environnemental, incompatible avec l’urgence climatique et l’effondrement de la biodiversité.

Nous appelons les sénateurs à faire preuve de responsabilité : aucun recul supplémentaire ne peut être permis. Suite à la fin des débats à l’Assemblée nationale, une chose est sûre : ce texte est déjà l’antithèse d’une loi d’orientation. Rien ne permettra d’allier les défis centraux que sont le renouvellement des générations, la transition et la souveraineté alimentaire. Il est urgent de traiter enfin du foncier et du revenu et de s’atteler à une révision en profondeur de la Politique agricole commune pour orienter nos politiques et financements publics en faveur de la transition agroécologique” souligne Mathieu Courgeau, co-président du Collectif Nourrir.


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